Carrière

Qu’est-ce qu’un organiste ? Un musicien qui dans l’esprit de beaucoup de gens joue pour le culte, la messe, les mariages et les enterrements… L’association commune de l’organiste à l’église, certes indiscutable, fait parfois écran à la compréhension de son art, à sa vocation de musicien.

En quelques lignes j’aimerais tenter de définir mon parcours comme instrumentiste, improvisateur et comme compositeur, ces trois vocations ayant toujours été étroitement liées au cours de l’histoire de l’orgue.

Premières émotions : ma jeune enseignante de piano étant par ailleurs organiste, j’ai très vite eu accès à cet instrument un peu mystérieux, donc fascinant. Quelle joie, lorsqu’elle me laissait sa place pour improviser pendant la communion ! J’avais alors 11 ou 12 ans. Plus tard, j’ai poursuivit de front l’étude du piano et de l’orgue au Conservatoire de Genève, terminant mes études par un Prix d’orgue à 20 ans, puis celles de piano une année après. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs très cultivés, et me laissant beaucoup de liberté sur la plan de l’interprétation. Il s’agissait de Pierre Sepond pour l’orgue, et de Nikita Magaloff pour le piano, une classe où j’avais comme camarade un peu terrifiante un certaine Martha Argerich…

A cette époque, dans les années cinquante, l’enseignement de l’orgue en Suisse romande était encore largement influencé par l’école française de Marcel Dupré. Une école dont la discipline était assez rigide, remplie de conventions, prônant un toucher legato presque universel, à l’exception des passages joués en un staccato dûment mesuré. La libération de ces carcans et l’ouverture vers une manière plus « musicale » de traiter l’instrument m’a certainement inspiré lorsque je pris la décision d’étudier toutes les œuvres d’orgue de J.S. Bach. Les enregistrements de l’organiste allemand, Helmut Walcha, réalisés sur des instruments historiques ont contribué à m’engager dans cette voie. On y découvrait des sonorités inconnues et merveilleuses, ainsi qu’une large palette de phrasés et d’articulations. Tout cela faisait sonner l’orgue comme un véritable instrument de musique…

Pendant trois années je n’ai pratiquement étudié que les œuvres d’orgue de J.S.Bach… J’avais un rythme de travail très strict et je me souviens qu’il me fallait environs trois semaines pour toutes les travailler au moins une fois.

En 1961, j’étais prêt à les donner en concert. J’ai eu la chance que la Ville de Genève m’offre gratuitement Victoria Hall pour une série de 10 récitals consacrés à tout l’œuvre d’orgue de Bach. Après un début encourageant, la salle a été pleine d’un public juvénile et enthousiaste dès le troisième concert. Cette série de concert a eu un grand retentissement, ce qui m’a encouragé à former le projet de les enregistrer pour le disque, le marché étant encore assez ouvert dans ce domaine.

Ma grande chance fut de pouvoir disposer d’un instrument assez révolutionnaire pour l’époque : l’orgue Metzler du Grossmünster de Zurich. Cet instrument, que l’on pourrait qualifier de néobaroque, se prêtait idéalement à l’enregistrement des œuvres de Bach : une riche palette sonore aux couleurs délicates et susceptibles de se mélanger à l’infini, une mécanique sensible et légère, enfin, une acoustique généreuse et transparente. Edités tout d’abord à titre privé sous forme de souscription sous le label « Ripieno », ces 18 disques furent bientôt remarqués par la presse et les maisons de disques.

Des éditeurs français (Harmonia Mundi), anglais (Oryx), Néo-Zelandais (Kiwi), les esploitèrent sous licence et ils furent largement distribués dans les Pays de l’Est (Balkanton), ou en Amérique (Angel).

Ceci explique mon début de carrière très rapide et la poursuite d’une intense activité artistique. Les concerts, les enregistrements, l’enseignement du contrepoint, des formes et styles et de l’orgue, sans oublier l’improvisation et mon goût pour la composition, ont constitué l’essentiel d’une carrière musicale qui s’est poursuivie jusqu’à mos jours, même si la composition a fini par occuper la majeure partie de mon temps.

Souvent considéré comme un « spécialiste » ayant fait des recherches approfondie sur les documents de l’époque Bach, j’ai eu parfois de la peine à faire comprendre que mes exécutions étaient avant tout le fruit d’un immense travail technique, inspiré par deux pôles complémentaires : l’enthousiasme et l’intuition. Dans l’histoire de notre instrument, les recherches musicologiques ont plutôt suivi que précédé la période de mes premières réalisations. Mes enregistrements ont probablement apporté une nouvelle manière d’écouter la musique d’orgue de Bach, mais du point de vue historique, ils ont servi d’intermédiaires entre une tradition qui avait aussi ses valeurs et les recherches plus approfondies des générations suivantes. Du reste, après les affrontements parfois virulents entre les « traditionnalistes » et les « baroqueux » plus ou moins philologues, il me semble que les jeunes organistes d’aujourd’hui parviennent à des synthèses plus productives que les querelles esthétiques.

En ce qui concerne spécialement la musique de Bach, j’en suis arrivé à penser qu’elle peut être jouée de bien des manières, pourvu que l’on en fasse sentir la forme et les structures, et partager cette beauté qui touche au mystère. L.R.

Postes d’organiste :

  •  1952-1967 Genève : Eglise de St Boniface
  • 1968-1973 Genève : Eglise de St Germain
  • 1977-1991 Moudon :(Vd) Temple de St Etienne (Orgue de Pottier)
  • 1993-2010 Genève : Organiste du Victoria Hall (Orgue Van den Heuvel)

Postes d’organiste :

  •  1952-1967 Genève : Eglise de St Boniface
  • 1968-1973 Genève : Eglise de St Germain
  • 1977-1991 Moudon :(Vd) Temple de St Etienne (Orgue de Pottier)
  • 1993-2010 Genève : Organiste du Victoria Hall (Orgue Van den Heuvel)

Distinctions

  • Dr Honoris Causa es Lettres de l’Université de Genève
  • Honorary Fellow of the Royal College of Organists (London)
  • Prix de la Fondation Leenhaards (2013)